tUnE-yArDs

Interview

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Trois ans après le sublime "WHOKILL", Merrill Garbus est de retour avec un troisième album studio férocement créatif. Elle explique ici comment elle s’est éloignée de la pédale loop, ses collaborations et son envie de dire ce qu’elle pense.

Vous avez mis la barre haute avec "WHOKILL", avez-vous ressenti de la pression pour écrire "Nikki Nack"?

Bien sûr, mais je ressentais autant de pression sur le dernier album. Une partie de mon travail en tant qu’artiste consiste à ignorer le monde extérieur, les critiques, et quelque fois les fans. Je pense que souvent, les fans ne savent pas ce qu’ils attendent d’un prochain album. Parfois, ils sont déçus, et parfois, ils reviennent sur l’album quelques années plus tard et se disent, “Oh, maintenant je comprends ce qu’elle voulait faire.” Je n’ai pas toujours réussi à me distancer de ces opinions et pressions, mais j’essaie toujours d’entretenir ce sentiment de solitude et de détachement.

Musicalement, "Nikki Nack" sonne plus complexe que "WHOKILL", avec une importance sur le rythme. Etait-ce l’un de vos objectifs?

Oui. Je ne savais pas trop quoi faire pour la suite, à part que je voulais me focaliser plus sur la batterie et les voix. A l’origine, mon objectif était de simplement nourrir ma créativité et me donner une chance de m’améliorer et d’être inspirée, que ce soit à travers des livres ou par l’apprentissage de la batterie ou du chant. Je suis allée voir un coach à Broadway pour le chant, pris des leçons de batterie et même des leçons de batterie hawaïenne. Je voulais également prendre le temps de me soigner car ma voix n’était pas au top après la tournée de "WHOKILL".

Vous avez également lu le livre de Molly-Ann Leikin "How To Write A Hit Song"? Qu’en avez-vous retenu?!

Oh oui, c’était super! Un livre captivant. Je retiens beaucoup de la musique pop ; j’aime danser dessus. Tout le monde aime un bon tube n’est-ce pas ? Je pense que je voulais simplement être un meilleur compositeur. Si je suis assez chanceuse d’avoir cette carrière – ce qui est déjà à peine croyable – alors je dois faire tout mon possible pour considérer cela comme un art, comme beaucoup d’autres compositeurs le font déjà.

Du coup, comment avez-vous procédé cette fois-ci pour la composition et l’enregistrement?

Et bien, j’ai évité d’utiliser la pédale loop pendant quelque temps. Je crois que j’étais même prête à l’abandonner complètement. Le dernier album était en grosse partie écrit sur la pédale loop et je crois que j’ai atteint ses limites, ou presque, mais c’est réellement un petit fragment de rythme qui se répète encore et encore. C’était une limite agréable pendant un moment, mais cette fois-ci, je me suis dis, “OK Garbus, tu peux le faire ! Tu peux apprendre à jouer de la batterie un peu mieux, et jouer des sets un peu plus long.”

Il y a toujours cette idée que, sans mon filet de sécurité, j’ai bien plus peur mais j’apprends beaucoup plus. Je pense que c’est ce qu’il s’est passé, mais oui, c’était très effrayant. Prenez-lui sa pédale et la petite fille chiale. (Rires)

C’est votre premier album qui n’est pas entièrement produit par vous. Pourquoi avez-vous décidé de demander de l’aide?

Pour être franche, om m’a encouragé à le faire, mais je trouve maintenant que c’était une sage décision. D’une manière égoïste, je pensais pouvoir apprendre des producteurs. J’adorerai être le producteur d’albums d’autres artistes un jour – je l’ai déjà été en quelque sorte – mais “producteur d’album” est un titre assez cool, et je voulais pouvoir dire, “Ok, quel est ce boulot au juste?” Et la réponse, c’ est que c’est un boulot très étrange.

Je crois que j’étais plus ouverte d’esprit cette fois-ci, en partie car j’avais une vision moins intense que pour "Bird-Brains" et "WHOKILL". Mais travailler avec un producteur n’est pas si différent que travailler avec un ingénieur du son et un mixeur ; chacun influence un peu le morceau. Le producteur à seulement une plus grande influence sur le projet.

Etait-ce difficile de laisser le contrôle à quelqu’un d’autre?

Mon Dieu, oui. On ne parle que de quatre ou cinq chansons sur tout l’album, mais même ça...

Pourquoi avoir choisi Malay et John Hill?

Certains producteurs ont la manie de faire sonner tous les albums selon leur style, et non selon le style de l’artiste, mais Malay est différent. Il a la réputation d’être un facilitateur ; quelqu’un qui apporte un vrai soutien et encourage l’artiste. Quelqu’un qui est plus transparent dans son travail, si vous voyez ce que je veux dire.

Et John Hill a travaillé avec MIA, dont je suis très fan, et sur la chanson de Rihanna "You Da One", que j’adore. Il a également une bonne connaissance et passion du reggae, et de la musique en général.

J’ai surtout découvert le travail de Malay grâce à la production qu’il a fait sur l’album de Frank Ocean. C’est juste tellement différent, de rentrer dans le RnB via cet angle au lieu de créer quelque chose de stéréotypé, et je crois que John Hill agit de la même façon. Ils sont tous les deux assez expérimentaux dans leur manière de penser la musique, à chercher des nouveaux sons qu’ils n’ont pas encore découverts.

L’album est rempli d’idées, allant de problèmes assez personnels, a des observations sociales plus générales. Voyez-vous un thème global à toutes ces chansons?

Je pense que l’idée générale de cet album – et de tous mes albums – est de savoir ou je me situe à ce moment de ma vie. C’est littéralement un enregistrement de l’année passée à faire cet album. Nate [Brenner] – qui est le bassiste de tUnE-yArDs depuis des années – a vraiment contribué à la composition de ces morceaux. C’était une nouvelle relation musicale pour nous deux, donc l’idée de “prendre un nouveau chemin” est présente, dans le sens que quelque chose doit changer car ça ne fonctionne plus.

Dans une interview de Pitchfork, vous disiez que vous ne vouliez pas être connue en tant qu’artiste engagée politiquement, mais on ne peut pas écouter "Nikki Nack" sans ressentir votre opinion politique. Avez-vous changé d’avis?

C’est tellement étrange que j’ai pu dire ça – était-ce peut-être sorti de son contexte?! Je pense que tout art est politique, même s’il se présente comme apolitique, simplement par la valeur de son contexte.

Je crois que ce que je voulais dire, c’est que je ne suis pas là pour convaincre intensément les gens de mes opinions. Et en même temps, "Stop That Man" était très influencé par le procès de George Zimmerman/Trayvon Martin aux Etats-Unis. Je crois que "Real Thing" parle de races, de mon pays, et du fait d’être une femme dans notre société. Ce sont des choses dont je parle car il le faut, car je pense que c’est la vérité ; ou ma vérité.

Donc je pense que quand le personnel est politique (ce qui est souvent le cas) alors c’est là que se trouve ma musique.

Le refrain de "Manchild" est particulièrement intrigant: “I’m not going to say yes when what I really mean is no.” (“Je ne vais pas dire oui quand je veux vraiment dire non”) Pouvez-vous nous parler de vos inspirations derrière ce morceau?

C’est l’exemple parfait du politique rentrant dans le personnel, car ça vient de ma propre frustration avec moi-même. En tant que femme chanteuse, compositrice, et qui est censée dire ce qu’elle pense, je réalise ma timidité à être honnête envers les gens, et à parler de mes sentiments. Ca inclut la timidité que j’ai ressentie à expliquer ce que je voulais de cet album, mais aussi de ce que j’attends de la vie.

J’ai commencé à découvrir une certaine malhonnêteté qui vient avec la politesse ; mentir pour faire partie de la société. Un peu comme dire “Non, ça va, merci” quand on te demande si tu veux du thé, alors qu’en fait, tu as vraiment envie d’une tasse de thé. Ca m’a vraiment perturbé, car quand on commence à les accumuler, on finit par se détacher complètement de ce que l’on veut vraiment, que ce soit du thé, un câlin, ou quelque chose de plus important comme un changement dans sa relation amoureuse. Et cela peut devenir très vite destructeur.

Je ne sais pas si c’est plus pertinent pour les femmes que pour les hommes, mais je connais beaucoup plus de femmes qui ont des difficultés à vraiment dire ce qu’elles pensent. Donc écrire ce refrain, et avoir la sublime tâche de le chanter à d’autres personnes, est quelque chose d’incroyable, surtout lorsque tout vient d’une expérience personnelle.

Que pensez-vous avoir appris sur vous-même avec cet album?

Je pense avoir appris à me pardonner plus que dans le passé, et à pardonner les autres aussi, me permettant de faire certaines collaborations. Quand j’ai fait "Bird-Brains", j’étais si possessive car j’avais peur que le projet soit attribué à quelqu’un d’autre. J’ai appris à être plus clémente, avec le monde et avec moi-même, ce qui peut paraître taré car cet album est tout sauf clément! Mais c’est vrai : je me sens plus apaisée.

Avril 2014